Sophie Ramond, «La voix discordante du troisième livre du Psautier (Psaumes 74, 80, 89)», Vol. 96 (2015) 39-66
In the neo-Babylonian period, ideologically antagonistic literary circles propose various conceptions of the relationship between God and his people. The aim of this article is to examine which of the Psalms of collective laments in Book III could be classified as dissident texts, refuting the mainstream opinion that justifies the actions of God and thus places the blame on the people for the situation of devastation and exile. More specifically, Psalms 74, 80 and 89 are analysed to find out whether they present a theological strand different from the dominant deuteronomistic line of thinking.
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LA VOIX DISCORDANTE DU TROISIÈME LIVRE DU PSAUTIER 59
tée. Dans la mesure où le participe de !ma n’est pas immédiatement
précédé du substantif “témoin” il ne peut être considéré comme at-
tribut et la traduction la plus correcte est sans doute: “un témoin dans
les nuées sera fidèle” 54. Le waw pouvant avoir une nuance d’affir-
mation en poésie, il est même possible de comprendre: “aussi vrai
qu’un témoin dans les nuées sera fidèle”. YHWH, qui a sa demeure
dans les nuées (v. 7), est le témoin (v. 38) interpellé dans le v. 39 car
il transgresse l’alliance lorsqu’il rejette et méprise son oint. Ainsi les
vv. 38b-39a mettent-ils l’accent sur l’inconsistance de l’agir divin.
Le psaume change donc soudain de tonalité en élevant une la-
mentation face au spectacle de l’oint bafoué, de l’alliance reniée,
du diadème et du trône jetés à terre (vv. 39-46). Un certain nombre
de termes sont aussi présent en Lamentation 2: ran, “renoncer”, un
verbe qui n’apparaît qu’en Ps 89,40 avec l’alliance pour complé-
ment et en Lm 2,7 avec le sanctuaire pour objet, alors que “jeter à
terre” (#ral llx) du v. 40b s’applique en Ps 74,7 à la demeure de
Dieu; “réjouir les ennemis” (~ybywa xms) du Ps 89,43 est une for-
mule proche de celle de Lm 2,27. Cette proximité de vocabulaire
avec Lamentation 2 suggère une composition du psaume à l’époque
néo-babylonienne, préoccupée par l’effondrement de l’institution
royale. Le terme “oint” qui encadre cette séquence sous forme d’in-
clusion (vv. 39.52) confirme que la lamentation a pour objet le roi.
YHWH y est dénoncé comme le vrai responsable de la situation:
dans les vv. 39-41 sept verbes successifs expriment son hostilité
(xnz, sam, rb[, ran, llx, #rp, htxm ~yf), l’accusent d’avoir renié son
alliance (cf. v. 40) et soulignent le non-respect de sa propre promesse,
rappelée aux vv. 20-38. Comme le fait remarquer B. Renaud, le terme
~lw[, “à jamais”, représente l’enjeu essentiel du débat: la prophétie
de Natan assure qu’un descendant de David sera a jamais présent sur
le trône judéen et le psaume le réaffirme avec la même insistance
(vv. 4-5.29.38). “Mais, selon la lamentation des vv. 39-52, les faits
démentent cette promesse. Le toujours de la parole semble invalidé:
YHWH a renié l’engagement pris à l’égard de David et de sa descen-
dance (vv. 30b. 34.35; le v. 40 s’oppose au v. 4) […]” 55.
54
VEIJOLA, Verheißung in der Krise, 33-45; HOSSFELD – ZENGER, Psalmen
51–100, 595.
55
B. RENAUD, “Un oracle prophétique (2 Sa 7) invalidé? Une approche du
Psaume 89”, Oracles et prophéties dans l’Antiquité. Actes du Colloque de Stras-
bourg 15-17 juin 1995 (éd. J.-G. HEINTZ) (Paris 1997) 215-229, spéc. 219-220.