Jean-Noël Aletti, «L’argumentation de Ga 3,10-14, une fois encore. Difficultés et propositions.», Vol. 92 (2011) 182-203
More technical than in the past, the interpretation of Ga 3,10-14 tries to pay attention to the enthymemes and to find the syllogisms which would support Paul’s reflection. This article shows that it is much better and surer to have a very close look at the gezeroth shawoth.
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L’ARGUMENTATION GA 3,10-14,
DE UNE FOIS ENCORE
par une gezerah shawah, en particulier celle-ci 28. Quelle est-elle
donc ? Celle d’expliquer un passage scripturaire à l’aide d’un autre
pour résoudre d’apparentes contradictions dans la Torah ou entre la
Torah et les prophètes, le principe qui autorise à rapprocher les
passages étant l’unité sémantique des Écritures. Comment, pour
Paul, Lv 18,5 et Hab 2,4 s’éclairent-ils réciproquement? En ce
qu’ils décrivent l’un et l’autre deux régimes différents: Hab 2,4
caractérise celui de la foi, où le croyant s’en remet totalement Ã
Dieu sans vouloir ni pouvoir se donner à lui-même ce qu’il espère,
alors que Lv 18,5 évoque à grands traits celui de la Loi, qui exige
l’agir et juge le résultat de l’agir. Le sujet de la Loi est responsable
du résultat de son agir, alors que le croyant attend tout de Celui
à /en qui il croit. Foi et Loi sont donc bien deux principes diffé-
rents. Ces considérations permettent de ne pas trop vite juger
superficiel l’argument de Paul, apparemment basé sur la seule
absence des mots pıstiv et dıkaiov/dikaiosynh en Lv 18,5. Car,
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si Lv 18,5, décrit correctement le régime de la Loi, alors l’absence
de pıstiv en ce sommaire confirme l’hétérogénéité des deux prin-
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cipes : o nomov oyk ek pıstewv. Et s’il en est ainsi, en disant que
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le juste vit de la foi, Hab 2,4 donne à entendre que la foi seule est
à l’origine de la justice. Paul est ainsi arrivé là où il voulait. Bref,
en rapprochant ces deux passages à l’aide d’une gezerah shawah,
Paul montre que l’opposition entre les deux régimes, celui de la foi
et celui de la Loi, ne vient pas de lui: les Écritures, parole auto-
risée s’il en est, l’ont énoncée bien avant lui, et lui-même ne fait
que les suivre. Notons seulement ici le choix ad rem de l’apôtre:
c’est un texte de la Loi, Lv 18,5, qui énonce implicitement que la
Loi n’appartient pas au régime de la foi!
passage biblique par un autre, bien plutôt à interpréter l’un par l’autre les deux
passages qu’on rapproche. Sur le sujet et la fonction de la technique, qui est de
résoudre d’apparentes contradictions dans la Torah (ou même entre cette
dernière et les livres prophétiques), voir J.N. ALETTI, “Romains 4 et Genèse 17.
Quelle énigme et quelle solution?â€, Bib 84 (2003) 305-326; P. BASTA, Gezerah
Shawah. Storia, forme e metodi dell’analogia biblica (Subsidia Biblica 26;
Roma 2006).
Pour que deux passages soient ainsi rapprochés, il faut qu’ils aient au
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moins un mot en commun (ici le verbe zhsetai), que la forme de ce mot soit
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assez rare et que le contexte respectif des deux passages soit analogue, afin
d’éviter toute anarchie sémantique. Il serait trop long de s’interroger ici dans le
détail sur la pertinence de la gezerah shawah de Ga 3,11-12.